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Expertise : quels sont les droits des comités d’établissement ?

Publié le 13/02/2019

Le comité d’établissement peut-il se faire assister d’un expert en vue de la consultation sur la situation économique et financière ? Depuis la réorganisation des consultations par la loi Rebsamen du 17 août 2015, la question était posée.  La Cour de cassation y répond sans ambiguïté par l’affirmative : sous l’empire de la loi Rebsamen, le droit des comités d’établissement est maintenu. Qu’en sera-t-il à l’avenir avec la mise en place du CSE? Cass.soc.16.01.19, n°17-26660.

  • Faits, procédures, prétentions

Dans cette affaire, le comité d’établissement de la Fnac de Lille a désigné un expert-comptable pour l’assister en vue de l’examen des comptes annuels de l’établissement, du prévisionnel et des perspectives économiques et financières.

La société Fnac a alors saisi le tribunal de grande instance pour faire annuler cette délibération. Devant les juges, elle a contesté le droit du comité d’établissement de recourir à un expert concernant la consultation sur la situation économique et financière. Ce droit était réservé, selon la Fnac, au comité central d’entreprise puisque le pouvoir confié au chef d’établissement était limité.

Selon le Code du travail (en l’espèce art. L2327-15 alors en vigueur, et désormais art. L2326-20), le comité d’établissement a les mêmes attributions que le comité d’entreprise, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement.

Déboutée en première et en seconde instances, la Fnac a formé un pourvoi en cassation. Elle fait notamment valoir que les comptes, y compris ceux de l’établissement étaient établis au niveau de l’entreprise.

  • Droit des comités d’établissement à l’expertise sous l’empire de la loi Rebsamen

La Cour de cassation a donc dû trancher le point suivant: le comité d’établissement peut-il recourir à l’assistance d’un expert-comptable en vue de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l’entreprise ?

Depuis l’adoption de la loi Rebsamen du 17 août 2015, se posait la question du droit pour les comités d’établissement de recourir à une expertise en vue de chacune des consultations dites « récurrentes ».

Dans la volonté de rationaliser la myriade de consultations existant antérieurement, la loi Rebsamen a réorganisé les consultations dites récurrentes (c’est-à-dire périodiques par opposition à ponctuelles comme les consultations sur les projets) en 3 blocs annuels :
-          la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise,
-          la consultation sur la situation économique et financière,
-          la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi.

En effet, le doute était permis dans la mesure où, s’agissant des consultations sur les projets (par exemple sur une réorganisation ou sur l’introduction de nouvelles technologies), la compétence des comités d’établissement a été restreinte par cette loi aux seuls cas de « mesures d’adaptation » spécifiques à l’établissement, le comité central d’entreprise se prononçant seul dès lors que ces mesures ne sont pas définies ou n’existent pas, comme cela est souvent le cas au moment où le projet est lancé et non définitif ou comme cela peut également être le cas lorsque l’entreprise prévoit une application uniforme du projet dans ses différents établissements (1).

En matière de consultations récurrentes, en revanche, le législateur est resté silencieux. Dès lors les spéculations sont allées bon train et des solutions divergentes ont été adoptées (2). Seules (quasi) certitudes: le droit du comité d’établissement de recourir à un expert dans 2 cas :

-          pour l’examen des comptes en cas d’établissement d’une comptabilité propre au niveau de l’établissement(3),

-          en vue de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi (4).

Restaient donc la question du droit d’expertise du comité d’établissement sur les orientations stratégiques et celle du droit de recourir à un expert en vue de la consultation sur la situation économique et financière, en dehors du cas de l’établissement d’une comptabilité au niveau de l’établissement.

La Haute juridiction met fin en partie à cette polémique et reconnait au comité d’établissement le droit de recourir à un expert-comptable pour l’assister en vue de la consultation sur la situation économique et financière.

A cette fin, la Cour de cassation se fonde sur deux arguments, déjà mis en avant dans une affaire antérieure à la loi Rebsamen (5).

Tout d’abord, en vertu de l’article L.2327-15 du Code du travail, le comité d’établissement a les mêmes attributions que le comité d’entreprise dans les limites des pouvoirs confiés au chef d’établissement ; or selon la Haute juridiction, « la mise en place d’un tel comité suppose que cet établissement dispose d’une autonomie suffisante en matière de gestion et de conduite de l’activité économique de l’établissement ».  

Autrement dit, dès lors qu’un comité d’établissement est mis en place, cela laisse présumer une autonomie suffisante du chef d’établissement et en conséquence cela doit conduire à la reconnaissance d’un droit de recourir à l’expertise (et d’être consulté en matière récurrente) à ce niveau.

Ensuite, la Chambre sociale rappelle le principe selon lequel les droits des différents comités ne sont pas exclusifs les uns des autres: « le droit du comité central d’être assisté (…) ne prive pas le comité d’établissement du droit d’être assisté par un expert-comptable ».

Par ailleurs, la Cour de cassation précise que le droit ainsi reconnu au comité d’établissement a pour objet de « lui permettre de connaître la situation économique, sociale et financière de l’établissement dans l’ensemble de l’entreprise et par rapport aux autres établissements avec lesquels il doit pouvoir se comparer ». L’objet de ce droit du comité mis en place au niveau de l’établissement est donc spécifique.

Pourtant, rien ne dit qu’à l’avenir, les comités sociaux et économiques mis en place au niveau des établissements pourront toujours recourir à une expertise, en dehors de celle en vue de la consultation portant sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi.

  • Quel droit à expertise après la mise en place du comité social et économique ?

Cet arrêt a été rendu alors que les ordonnances de septembre 2017 conduisent à douter du maintien de ces prérogatives au niveau des établissements.

Toutefois, la question ne se posera réellement que lorsque les comités sociaux et économiques auront été mis en place, et non dès l’entrée en vigueur des dispositions issues de l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social dans l’entreprise. En effet, seuls les comités sociaux et économiques sont soumis aux nouvelles règles relatives à l’expertise (nouvel article L.2315-78 du Code du travail), ce dont on peut inférer a contrario que les comités d’entreprise et d’établissements ne le sont pas.

Lorsqu’un comité social et économique aura été mis en place au niveau central, le nouvel article L.2316-20 du Code du travail, alinéa 1er, reprend les termes de l’ancien article L.2327-15 et attribue donc les mêmes attributions aux comités sociaux et économiques d’établissement (dans la limite des pouvoirs…cf. ci-dessus). Cependant que le second alinéa de ce texte semble étendre à toutes les « décisions » (et non plus seulement les projets) le principe d’articulation selon lequel le comité mis en place au niveau de l’établissement n’est consulté qu’en cas de « mesures d’adaptation (…) spécifiques à l’établissement ».

Or, le nouvel article L.2316-21 prévoit que « Le comité social et économique d’établissement peut faire appel à un expert (…) lorsqu’il est compétent conformément aux dispositions du présent code » … Ce qui pourrait impliquer que le comité social et économique d’établissement ne serait pas compétent et ne pourrait donc recourir à un expert en l’absence de mesures d’adaptation spécifiques à l’établissement.

Bref, le droit de recourir à un expert serait fortement limité par les nouvelles dispositions (6), alors même que la définition actuelle de l’établissement devrait au moins autant qu’avant conduire à présumer une autonomie suffisante du chef d’établissement (7) ...

Si bien qu’en définitive, seul le recours à la négociation pourrait permettre d’organiser de manière intelligente, non seulement l’articulation des niveaux de consultation, mais aussi le droit de recourir à un expert (négociation sur le fondement du nouvel article L.2312-19, 3° s’agissant des niveaux pertinents pour la consultation et sur le fondement de l’article L.2315-79 concernant le nombre d’expertises sur les consultations récurrentes).

 

 

 

(1)   Ancien article L.2327-2 du Code du travail.

(2)   Semaine sociale Lamy, 2016, n°1747.

(3)   Cass.soc.14.12.99, n°98-16810. V. en ce sens Action Juridique, n°227.

(4)   Puisque si le chef d’établissement n’est pas autonome sur ces questions, on voit mal comment un établissement distinct pour la mise en place du comité pourrait être reconnu.

(5)   Cass.soc.19.11.14, n° 13-10415. 

(6)   Une seule chose parait à peu près acquise : le droit de ce comité d’être consulté sur la politique sociale.

(7)   Cass.soc.19.12.18, n°18-23655.