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Expertise : quels points de départ du délai de contestation ?

Publié le 07/05/2019

Le point de départ du délai de quinze jours qu’a l’employeur pour contester une expertise « risque grave » ne court qu’à compter de la délibération ayant fixé les modalités de mise en œuvre de l’expertise. De plus, la contestation de l’étendue de l’expertise induit nécessairement le droit d’en contester le coût. Cass.soc.20.03.19, n°17-23027.

  • Faits, procédure et prétentions

Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) décide de recourir à une expertise pour risque grave par un vote des élus le 14 septembre. Puis, le 18 octobre, les membres du CHSCT votent sur le périmètre, le choix de l’expert et la désignation d’un élu pour le représenter.

L’employeur a, par la suite, saisi le tribunal de grande instance (TGI) d’une contestation portant sur la nécessité de l’expertise et son étendue, puis invoque, en appel, la question du coût de l’expertise.

Le CHSCT prétend d’une part que l’employeur n’a pas agi dans les délais et d’autre part qu'il ne peut à travers la question de la nécessité de l’expertise obtenir l’annulation de la décision d'y recourir. En outre, il fait valoir que si l’employeur a bien contesté le périmètre de l’expertise dans les délais, il n’avait pas, à l’origine, contesté le coût prévisionnel.

Le TGI de Paris a considéré la demande de contestation hors délais dans les deux cas. Dans le premier cas parce que, selon les juges du fond, le point de départ du délai de contestation de l’expertise (demande d’annulation) courait depuis la première délibération (le 14 septembre) et avait donc expiré lors de la demande le 31 octobre. Dans le second cas, parce que selon le tribunal les demandes avaient un objet différent, ce dont il résultait que la contestation du coût prévisionnel était hors délai.

De ce fait, l’employeur a formé un pourvoi et la Cour de cassation a dû trancher deux questions : l’une portant sur le point départ du délai de contestation de l’expertise dont dispose l’employeur, l’autre sur la possibilité de contester le coût à travers le périmètre.

  • Possibilité de délibérations distinctes et point de départ du délai de contestation

Rendant son arrêt au visa de l’article L. 4614-13 du Code du travail, issu de la loi El Khomri (1) et alors en vigueur, la Haute juridiction apporte deux précisions importantes.

-          Tout d’abord, il est possible d’adopter des délibérations distinctes pour, d’une part, la décision de recourir à l’expertise et, d’autre part, la fixation de son périmètre, ainsi que la désignation de l’expert. Une solution qui avait déjà été affirmée (2).

-          Ensuite, dans cette hypothèse, le délai de 15 jours pour contester les modalités ou l’étendue de l’expertise court dès lors « à compter du jour de la délibération les ayant fixées ».

En l’espèce donc, comme l’employeur contestait l’expertise au regard de ses modalités de mise en œuvre, le délai n’avait commencé à courir qu’à compter de la deuxième réunion qui avait fixée ces modalités.

Bref, il semblerait que, dès lors que l’employeur ne se contente pas de contester le principe du recours à une expertise mais fait valoir d’autres arguments concernant des points ayant fait l’objet d’une délibération distincte (comme sa nécessité, son étendue, l’expert désigné…), le point de départ du délai en sera reculé d’autant.

  • Une contestation qui en induit une autre : du périmètre au coût prévisionnel

Par ailleurs, la Cour de cassation a également décidé que « la contestation par l’employeur du périmètre de l’expertise dans le délai imparti (…) induit nécessairement le droit de contester le coût prévisionnel de celle-ci ».

Une solution qui paraît logique à première vue puisque de l’étendue de l’expertise dépend vraisemblablement son coût. D’autant que les textes visent ces possibilités de contestation pêle-mêle.

Toutefois, il est regrettable que les élus ne puissent clairement savoir, à la lecture du mémoire de l’employeur, ce que celui-ci conteste. En outre, est-il si logique que la contestation du coût apparaisse comme nécessairement sous-jacente à celle de son étendue ? Et ce, alors même que l’employeur peut contester l’étendue d’une expertise pour d’autres raisons, comme par exemple un souci de confidentialité…

  • Une solution transposable aux expertises "risque grave" décidées par le CSE 

Les réponses apportées par cet arrêt devraient valoir sous l’empire des textes issus des ordonnances Macron de septembre 2017.

En effet, les dispositions de l’article L. 4614-13 du Code du travail se retrouvent désormais à l’article L.2315-86, sans modification de fond sur ces questions.

Les dispositions relatives à la contestation de l’expertise « risque grave » ont été modifiées par la loi Travail de 2016 à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 27 novembre 2015 (3). Le Conseil constitutionnel avait en effet été saisi par la Cour de cassation en raison du problème insoluble, sous l’empire de la législation antérieure, posé par l’absence d’effet du recours en justice de l’employeur. En effet, celui-ci devait prendre en charge le coût, qu’il était en droit de contester, mais sans que la contestation n’ait d’effet suspensif et sans que son succès en justice ne lui permette de récupérer l’argent versé à l’expert, lequel de son côté était en droit d’obtenir une rémunération du travail effectué… L’article L. 4614-13 du Code du travail, adopté lors de la loi Travail et repris par les ordonnances, règle ce problème en suspendant non seulement l’exécution de la décision du CSE mais également les délais de consultation jusqu’à la notification du jugement. En outre, le CSE ayant un budget, il pourra, en cas d’annulation de sa décision  de recourir à une expertise "risque grave", prendre en charge l’expertise sur ses deniers propres (L. 2315-86 du Code du travail).

 

(1)   Loi n°2016-1088 du 8 août 2016.

(2)   Cass.soc.5.07.18, n°17-11829.

(3)   n°2015-500 QPC.