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Lanceurs d’alerte : de nouvelles règles de protection adoptées au sein de l’Union européenne

Publié le 07/05/2019

Le 16 avril dernier, le Parlement européen a voté à une large majorité une proposition de directive venant offrir une protection aux personnes dénonçant des infractions au droit de l’Union européenne (UE). Au sein de l’UE, ces lanceurs d’alerte ne pourront désormais plus être condamnés ou sanctionnés pour avoir dénoncé des informations acquises dans un cadre professionnel sur des actes illégaux.

Les discussions entre les institutions européennes auront finalement duré un an. Le 23 avril 2018, la Commission européenne a mis sur la table une proposition de directive visant à définir des règles de protection des lanceurs d’alerte à l’échelle de l’Union européenne. Une telle directive était très attendue, plus particulièrement depuis l’adoption en 2016 de la très controversée directive sur le secret des affaires. Elle semble en effet opérer un rééquilibrage entre sécurité des entreprises et respect des libertés fondamentales pour les lanceurs d’alerte.

A ce jour, seulement 10 Etats membres, dont la France, disposent d’une réglementation complète visant à protéger les lanceurs d’alerte. Il apparaît d’ailleurs à cet égard que le texte européen est largement inspiré de la loi française (la loi Sapin II de 2016) malgré deux points majeurs de divergence : l’obligation de passer par la procédure interne pour signaler l’acte illégal et la définition du lanceur d’alerte.

Les réglementations nationales étant disparates ou absentes, il est devenu nécessaire d’adopter des règles de protection pour les lanceurs d’alerte communes aux 28 Etats membres. Quelles sont les principales règles consacrées par cette nouvelle directive ?

  •  Le champ d’application de la directive

- Une conception large du lanceur d’alerte : sont protégées au titre de la directive les travailleurs du « secteur privé ou public qui ont obtenu des informations sur des infractions dans un contexte professionnel, y compris au moins »(1):

- les travailleurs dont les fonctionnaires ;
- les travailleurs indépendants ;
- les actionnaires ;
- les bénévoles et les stagiaires ;
- les personnes travaillant pour des contractants, des sous-traitants ou fournisseurs ;
- les personnes qui signalent ou divulguent des informations obtenues dans le cadre d’une relation de travail qui a cessé depuis ;
- les personnes qui ont obtenu l’information dans le cadre de leur processus de recrutement.

La directive établit donc une liste ouverte des personnes pouvant être protégées. De même, des tierces personnes qui ont aidé le lanceur d’alerte telles que des collègues ou des proches pourront bénéficier de la protection, ainsi qu’un facilitateur, c’est-à-dire « une personne physique qui aide l’informateur à faire un signalement dans un contexte professionnel et dont l’aide devrait être confidentielle ».
Ces personnes bénéficieront de la protection à la condition qu’elles aient « des motifs raisonnables de croire que les informations communiquées étaient véridiques au moment du signalement »(2).

La directive retient une conception large du lanceur d’alerte par rapport à la loi française qui limite la définition de lanceurs d’alerte aux membres du personnel et aux collaborateurs extérieurs ou occasionnels. En outre, contrairement à la loi française, pour être qualifié de lanceur d’alerte, il n’est nul besoin que la personne soit désintéressée et de bonne foi. Elle doit simplement avoir acquis « des informations sur des infractions dans un contexte professionnel » et avoir « des motifs raisonnables de croire que les informations communiquées étaient véridiques au moment du signalement ».

 - Les infractions couvertes par la directive :

La directive garantit une protection aux personnes qui signalent des infractions au droit de l’Union dans les matières suivantes :

- passation de marché public ;
- services, produits et marchés financiers et prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ;
- sécurité des produits ;
- sécurité des transports ;
- protection de l’environnement ;
- sûreté nucléaire ;
- sécurité alimentaire et animale, la santé et le bien-être animal ;
- santé publique ;
- protection des consommateurs ;
- protection de la vie privée et des données personnelles ;
- les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ;
- les infractions relatives au marché intérieur (règles en matière de concurrence et d’aides d’Etat, règles de l’impôt sur les sociétés ou dispositifs destinés à obtenir un avantage fiscal contraire à l’objet ou la finalité de la législation applicable).

Même si la directive balaie un éventail large de domaines, il est regrettable que ne figurent pas les infractions aux droits des travailleurs, ce qui a d’ailleurs été dénoncé par la CES dès la publication par la Commission européenne de la proposition de directive en avril 2018.

Toutefois, au moment de la transposition, les Etats membres auront la possibilité d’étendre à d’autres domaines relevant du droit national(3). De plus, la directive prévoit qu’au plus tard 4 ans après sa transposition, la Commission devra présenter au Parlement et au Conseil un rapport qui évalue la mise en œuvre de la directive et qui examine la nécessité d’élargir son application à d’autres domaines, notamment « l’amélioration de l’environnement de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs ainsi que leurs conditions de travail »(4).

  •  La procédure de signalement

- L’obligation d’établir des canaux internes de signalement :

La directive instaure une obligation vers les entreprises du secteur privé d’au moins 50 salariés et les municipalités d’au moins 10 000 habitants d’établir des canaux et des procédures internes pour signaler une alerte et pour la suivre(5). Les Etats membres peuvent toutefois imposer une telle obligation pour les entreprises de moins de 50 salariés suite à une évaluation des risques tenant compte des activités de l’entreprise et du niveau de risque qui en découle en particulier pour l’environnement et la santé publique.

Les Etats membres peuvent prévoir que l’établissement des canaux et procédures internes de signalement se fasse après consultation des partenaires sociaux et en accord avec ceux-ci(6). Lors de la transposition du texte, il sera donc important que les organisations syndicales pèsent pour que soit reconnu leur rôle dans la mise en place de ce mécanisme d’alerte !

- L’obligation d’établir des canaux externes de signalement :

Les Etats membres doivent désigner les autorités compétentes (par exemple un juge) pour recevoir et assurer le suivi des signalements.
Contrairement à la version initiale du texte proposé par la Commission, il n’existe pas d’obligation de recourir préalablement à la procédure d’alerte interne (de l’entreprise ou de l’organisation) pour signaler l’infraction avant de révéler l’information à une autorité extérieure puis à l’opinion publique.

Désormais, il s’agit pour le lanceur d’alerte d’une simple incitation à signaler l’infraction d’abord dans le cadre des voies internes s’il est « possible de remédier véritablement à l’infraction en interne » et si le lanceur d’alerte« estime qu’il n’y a aucun risque de représailles ».

Cette amélioration du texte est importante pour la CES et la CFDT, sachant que le recours préalable au canal interne constituait le point d’achoppement entre le Parlement européen et le Conseil, lequel, sous l’influence notamment de la France, souhaitait rendre obligatoire la voie de l’alerte interne. En effet, il faut savoir qu’en droit français, l’alerte doit prioritairement être lancée par le canal interne. Cela explique donc les fortes réticences de la France à adopter un texte européen qui va plus loin que ce que prévoit le droit français…

- La divulgation publique

Enfin, la directive garantit une protection à la personne qui divulgue publiquement des informations sur des infractions relevant des domaines précités, lorsque :

- elle a d’abord signalé par un canal interne et/ou externe ;
- ou elle a des motifs raisonnables de croire que l’infraction représente « un danger imminent ou manifeste pour l’intérêt public, tel qu’une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible »(7) ; 
- ou elle a des motifs raisonnables de croire qu’en cas de signalement externe, il existe un risque de représailles ou peu de chances qu’il soit remédié à l’infraction tels la dissimulation de preuves, la collusion d’une autorité avec l’auteur de l’infraction…

  •  La protection des lanceurs d’alerte

Les lanceurs d’alerte qui révèlent une information sur une infraction au droit de l’UE seront protégés contre toutes représailles s’ils respectent l’un des trois canaux de signalement (procédure de signalement interne et/ou externe et/ou la divulgation publique). Sont ainsi interdites à leur égard les représailles directes ou indirectes telles qu’une sanction disciplinaire (suspension, mise à pied…) un licenciement, une rétrogradation ou un refus de promotion, un transfert de fonctions, un changement de lieu de travail, une réduction de salaire, une modification des horaires, etc(8).

Les Etats membres doivent également prendre les mesures nécessaires pour assurer leur protection(9) (notamment en prévoyant l’irresponsabilité du lanceur d’alerte concernant l’obtention des informations, dans la mesure où cette obtention ne constitue pas une infraction pénale) et leur offrir des mesures de soutien comme l’accès à une assistance juridique et psychologique(10). 

  • L’absence de reconnaissance explicite du rôle des syndicats dans le soutien aux lanceurs d’alerte

Le regret majeur pour la CFDT est l’absence au sein de la directive d’une mention explicite et contraignante relative à la possibilité pour le lanceur d’alerte de se faire représenter par un syndicat au cours de la procédure. Pour que le rôle spécifique des organisations syndicales soit reconnu, il faudra au moment de la transposition, que le droit interne prévoit la possibilité pour un travailleur lanceur d’alerte de s’adresser à un syndicat pour rechercher conseil, être accompagné et représenté par lui

La directive doit maintenant être adoptée par le Conseil européen puis être publiée. Les Etats membres disposeront ensuite de 2 ans pour la transposer dans leur droit interne. Ce sera donc l’occasion pour la France de réviser ses règles de protection des lanceurs d’alerte pour se mettre en conformité avec la directive, notamment s’agissant de la procédure de signalement interne qui ne devra désormais plus être obligatoire. 



(1) Article 4§1 de la Directive.

(2) Article 5§1, a) de la Directive.

(3) Article 2§2 de la Directive.

(4) Article 27§3 de la Directive.

(5) Article 8 de la Directive.

(6) Article 8 de la Directive.

(7) Article 15§1 de la Directive.

(8) Article 19 de la Directive.

(9) Article 21 de la Directive.

(10) Article 20 de la Directive.