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CSE : les TPE sont (un peu plus) terre d’élection

Publié le 13/09/2023

Il y a 6 années de cela, les instances de représentation du personnel historiques -CE/DP/DUP et autre CHSCT- s’apprêtaient à tirer leur révérence. Et à céder la place à une instance de représentation aussi unique que nouvelle, le CSE. Mais, sans que cela ne soulève autant d’émoi, le droit à la représentation des salariés des TPE était également sur le point d’être impacté, via une restriction du droit des organisations syndicales à y négocier les protocoles d’accord préélectoraux (PAP) ; restriction que, par une interprétation pour le moins byzantine, le ministère du travail entendra par la suite convertir en une interruption en série des processus électoraux qui y seront engagés. Sous la pression de la CFDT, le ministère du travail vient tout juste de revenir sur cette interprétation. Ce qui s’est traduit par une refonte complète des procès-verbaux de carence jusqu’alors en vigueur. Explication de cette discrète petite victoire pour l’accès à la représentation des salariés des TPE. Procès-verbal de carence, Cerfa n° 15248*04

Dès lors que pendant 12 mois consécutifs, une entreprise atteint le seuil de 11 salariés équivalent temps plein -ou a fortiori le dépasse-, un CSE doit pouvoir y être mis en place.

Pour ce faire, et par application de l’article L. 2314-5 du Code du travail, l’employeur doit dans un 1e temps lancer le processus électoral en informant le personnel que le 1e tour de l'élection sera organisé au plus tard dans les 90 jours à venir. Puis, dans un 2nd temps, inviter les organisations syndicales intéressées à négocier le protocole d'accord préélectoral (PAP).

Oui mais voilà, depuis le 22 septembre 2017 -et les ordonnances dites Macron publiées ce même jour- cette règle n’est plus d’application générale ; les entreprises de 11 à 20 salariés se trouvant pour ainsi dire soumises à une « loi d’exception »

Ce que dit la loi s’agissant de la mise en place du CSE dans les entreprises de 11 à 20 salariés   

Mais alors, cette « loi d’exception », quelle est-elle ? Eh bien elle trouve à se matérialiser en un alinéa inséré à ce même article L. 2314-5 et qui précise que, dans les entreprises d’une telle taille, et par dérogation à la règle de principe, l’employeur n’est contraint d’inviter les organisations syndicales intéressées à négocier le PAP qu’à la seule condition « qu’au moins un salarié se soit porté candidat aux élections dans un délai de 30 jours » suivant le lancement du processus électoral

Dans les entreprises de 11 à 20 salariés donc, là où les candidatures émergent laborieusement, le législateur a fait en sorte d’en complexifier encore un peu davantage la manifestation. En posant l’équation suivante : 90 jours à l’employeur pour organiser le 1e tour des élections MAIS 30 jours pour qu’un éventuel candidat se présente, à défaut de quoi l’employeur se trouve dispensé d’inviter les organisations syndicales intéressées à négocier le PAP.

Une aberration puisqu’ici la loi demande à un salarié de se porter « candidat » alors même que les règles de dépôt des candidatures n’ont, à ce stade, pas encore été définies(1). Il semble ici que l'un objectif était d'orchestrer une mise à l’écart des organisations syndicales dans les entreprises où elles ont déjà le plus mal à s'implanter. Et donc une disposition qui a été immédiatement dénoncée par la CFDT(2)

La position décevante du Conseil constitutionnel…

Dès avant la promulgation de la loi ratifiant les ordonnances Macron, la perspective d’un évincement des organisations syndicales des entreprises de taille modeste a été vigoureusement contestée devant le Conseil constitutionnel. Y compris par la CFDT qui s’est alors fendu d’un amicus curiae. Au nom de l’atteinte portée au droit de « tout travailleur de participer, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi, qu’à la gestion des entreprises »(3).

En vain. Les Sages de la rue Montpensier ont considéré d’une part, que « le législateur avait entendu éviter que, dans les plus petites entreprises, l'employeur soit tenu d'entamer la négociation d'un PAP qui, en l'absence de candidature d'un salarié déclarée dans les 30 jours de l'annonce de l'élection, pourrait s'avérer sans objet ». Et que d'autre part, que « ces dispositions ne limitaient pas la faculté pour les salariés de déclarer leur candidature, qui n'est pas conditionnée à l'existence d'un tel protocole »(4).

Une motivation peu convaincante puisque ne se fondant que sur une simple conjecture : s’il n’y a pas de candidat sous 30 jours, la négociation du PAP POURRAIT être sans objet… mais si elle pourrait être sans objet, c’est qu’elle pourrait aussi en avoir un. Et, disons-le, sur une forme de pis-aller : de toute façon, pas besoin de PAP pour qu’il y ait des candidats.

… et l’acadabrantesque interprétation du ministère du travail

Mais nous n’étions pas au bout ni de nos peines, ni de nos surprises.

Dans son CSE 100 questions / réponses publié en 2018, le ministère du travail n’hésita pas à affirmer que « dans les entreprises dont l’effectif est compris entre 11 et 20 salariés, lorsqu’aucun salarié ne s’est porté candidat aux élections dans les 30 jours (…) », non-seulement l’employeur était « dispensé d’inviter les organisations syndicales à négocier le PAP » mais, cerise sur le gâteau, que « les élections n’avaient pas à être organisées » et que « le processus électoral s’achevait »(5) (!). Prenant ainsi à contrepied les pourtant bien timides préventions du Conseil constitutionnel… selon lequel, rappelons-le, les candidatures des salariés n'étaient pas conditionnée à l'existence d'un PAP.

Et le ministère du travail de transformer l’essai en adoptant un modèle de procès-verbal de carence faisant de l’« absence de candidature sous 30 jours à compter du lancement du processus électoral » dans les entreprises de 11 à 20 salariés un événement justifiant son adoption(6)…


Une interprétation ministérielle clairement attentatoire au droit des salariés d'accéder à la représentation que la CFDT a dénoncé !

En juin dernier, la CFDT a eu l’occasion de remettre la question sur le tapis devant le Haut conseil au dialogue social (HCDS) en revendiquant une nouvelle fois la refonte totale des PV de carence alors en vigueur.

Et nos arguments ont enfin fini par faire mouche, conduisant le ministère du travail à revenir sur sa position et même à négocier un virage à 180°.

Adieu Cerfa n° 15248*03 / bonjour Cerfa n° 15248*04

Le nouveau Cerfa témoigne clairement de l’évolution interprétative du ministère du travail. Terminé le « pas de candidat sous 30 jours = PV de carence ».

Désormais, les choses sont claires et conformes à la position adoptée par le Conseil constitutionnel en 2018 : « Pas de candidat sous 30 jours = pas d’invitation des organisations syndicales à négocier le PAP mais obligation pour l’employeur de poursuivre le processus électoral et en conséquence d’organiser le 1e et l’éventuel 2nd tour ».

Pas de négociation de PAP donc, mais de possibles candidatures syndicales au 1e tour et de possibles candidatures syndicales et/ou sans étiquettes au 2nd tour.

 

Reste maintenant au ministère du travail à faire preuve de cohérence et à réécrire complétement la réponse qui, dans son CSE 100 questions / réponses -devenu depuis son CSE 117 questions / réponses-, le conduisait à affirmer que, faute de candidat sous 30 jours, « les élections n’ont pas à être organisées » et « le processus électoral s’achève » ; une telle interprétation étant à ce jour devenue caduque.

En guise de conclusion, nous pouvons affirmer que si telle évolution ne révolutionnera sans doute pas dans notre beau pays le paysage de la représentation du personnel, elle offrira tout de même davantage de possibilités aux salariés des TPE pour installer, là où ils travaillent, des élus CSE. Et possiblement des élus CSE CFDT.

 

(1) Aberration que l’article L. 2314-5 in fine du Code du travail tente tant bien que mal -et plus mal que bien- de tordre en attribuant à ce « candidat » la protection propre aux candidats imminents… Le « candidat » qui se manifeste sous 30 jours n’est donc pas tout à fait un candidat…

(2) Cf. notamment les ordonnances commentées par la CFDT publié sur le site CFDT dès 2017 : « la disposition spécifique aux entreprises de 11 à 20 salariés risque d'entraver la possibilité pour les organisations syndicales de se présenter dans ces entreprises et de dissuader les candidats potentiels. Faute d'invitation à négocier le PAP, les structures CFDT n'auront plus de visibilité sur le développement du processus électoral dans les entreprises de 11 à 20 salariés »

(3) Alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946, faisant partie intégrante du bloc de constitutionalité.

(4) Décision n° 2018-761 DC du 21.03.18, considérants n° 46 à 49.

(5) CSE, 100 questions / réponses de 2018, question n° 39, page 30.

(6) Cerfa n° 15248*03