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CSE : quel droit de l’expert de mener des entretiens avec les salariés ?

Publié le 12/07/2023

Par une décision regrettable, la Cour de cassation estime que lorsqu’il est désigné pour une mission en vue de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi, l’expert ne peut mener d’entretiens avec les salariés sans obtenir au préalable l’accord de l’employeur. Cass.soc.28.06.2023, n°22-10293, publié.

Faits, procédure et prétentions

Lors d’une réunion, le CSE a décidé de recourir à une expertise en vue de la consultation sur la politique sociale.

L’article L2315-91 du Code du travail permet au CSE de se faire assister par un expert en vue de préparer la consultation sur la politique sociale. La mission de l’expert « porte sur tous les éléments d’ordre économique, financier, social ou environnemental nécessaires à la compréhension de la politique sociale de l’entreprise, des conditions de travail, et de l’emploi » (art.L.2315-91-1 C.trav.) A cette fin, l’employeur doit transmettre à l’expert les informations qui s’y rapportent (art. L.2315-26 C.trav.)

L’expert a notifié sa lettre de mission à l’employeur détaillant les modalités de son intervention, parmi lesquelles la tenue d’entretiens avec les salariés. Ces entretiens devaient durer 5 à 6 jours puisque l’expert prévoyait de s’entretenir 1H30 avec 25 salariés.

L’employeur décida alors de contester le coût et la durée de l’expertise et saisit à cette fin le tribunal judiciaire. Il fit notamment valoir qu’il n’avait pas donné son accord pour ces entretiens, alors que cela était nécessaire.

Aux termes de l’article L.2315-86, 3° du Code du travail, lorsqu’il souhaite contester le coût prévisionnel, la durée ou l’étendue de l’expertise, l’employeur peut saisir le juge judiciaire d’une procédure accélérée au fond. Le juge a alors 10 jours pour statuer. La saisine du juge suspend la décision du CSE désignant l’expert, ainsi que les délais de consultation.

Se fondant entre autres sur le « Guide de missions de l’expert-comptable » qui prévoit que, pour mener des entretiens, l’accord de l’employeur est nécessaire, le juge a donné raison à l’employeur.

 Le CSE et l’expert forment alors un pourvoi.

Pour auditionner les salariés, l’expert doit avoir l’accord de l’employeur

Pour mener des entretiens avec les salariés, le CSE doit-il obtenir l’accord de l’employeur ?

Telle était la question posée à la Cour de cassation. En effet, la durée et le coût de l’expertise en dépendaient.

Dans leur pourvoi, l’expert et le CSE se fondaient sur les dispositions du Code du travail qui permettent à l’expert d’avoir un libre accès à l’entreprise d’une part ( art.L.2315-82 du Code du travail) et à celles qui prévoient que l’employeur « fournit à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission » (art.L.2315-83 du Code du travail) d’autre part. L’expert faisait également valoir sa liberté de déterminer les éléments utiles à sa mission. En effet, la Haute juridiction avait déjà eu l’occasion de décider qu’il appartenait à l’expert de déterminer les documents utiles à sa mission (1).

D’ailleurs, à partir de ces dispositions, la Cour de cassation a également déduit qu’aux fins de mener à bien sa mission d’expertise sur la politique sociale, l’expert peut avoir accès à des documents au-delà de la BDESE et du bilan social (2).

En contrepartie de ces droits, et afin que des informations sensibles sur l’entreprise ne puissent être divulguées, l’expert est tenu à une obligation de secret et de discrétion (art.L.2315-84 du Code du travail).

La Cour de cassation rejette néanmoins le pourvoi estimant que si l’expert « considère que l’audition de certains salariés de l’entreprise est utile à l’accomplissement de sa mission, [il] ne peut y procéder qu’à la condition d’avoir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés ».

Pour pouvoir mener ces entretiens, 3 conditions doivent donc être remplies :

  • L’expert doit considérer ces auditions utiles à l’accomplissement de sa mission ;
  • Il doit obtenir l’accord exprès des salariés ;
  • Il doit également obtenir l’accord exprès de l’employeur.

La nécessité d’un accord des salariés eux-mêmes nous semble en effet nécessaire et bienvenue. Il serait absurde et contreproductif d’interroger des salariés contre leur gré, et probablement contraire à leur liberté personnelle.

En revanche, on peut regretter que la décision de la Cour subordonne l’échange entre l’expert et des salariés consentants à un accord de l’employeur.

En effet, pourquoi y consentirait-il dès lors que le coût (et les résultats) de l’expertise en dépend ? Qui plus est, quel droit a-t-il sur l’expression des salariés sur leur travail (étant entendu que la parole des salariés est ici recueillie par un professionnel soumis à une obligation de secret et de discrétion) ?

 

 

(1) Cass.soc.23.03.2022, n°20-17186.

(2) Cass.soc.19.04.2023, n°21-25563.

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